Jour 7 + 8 + 9

Jour 7 : Racines Cachées

La table du matin est déjà préparée, et je prends un moment pour me faire quelques tartines, cherchant à emmagasiner un peu de force pour la journée à venir. Je savoure ces derniers instants de convivialité avec l'équipe des randonneurs. 

Les adieux sont empreints d’émotion. Je serre la main de l’aubergiste et le remercie sincèrement pour son accueil et sa générosité. Son hospitalité a été une parenthèse mémorable, un havre de chaleur et de réconfort dans cette aventure exigeante.

À 8h00, je prends le départ sous la fraîcheur matinale. L’excitation de l’aventure est encore vive, mais chaque pas m’éloigne de l’euphorie initiale et me rapproche de l’épuisement. Plus j'avance, plus l'énergie décline. La fatigue des jours précédents s’accumule, chaque montée devient une épreuve et chaque étincelle de motivation se fait de plus en plus rare. La beauté du paysage se fond dans une lutte intérieure, et je me rends compte que cette aventure est autant un combat avec moi-même qu’une exploration du monde extérieur.

La deuxième montée semble interminable. Chaque pas est une lutte contre la gravité, et la descente qui suit n'apporte aucun soulagement. Mes chevilles et mon dos protestent violemment. Les douleurs s'installent partout, et le moral en prend un coup. Mes pieds deviennent lourds, chaque pas se fait de plus en plus hésitant. Je glisse à plusieurs reprises, l'équilibre vacille.

À un moment donné, mon pied accroche une racine traîtresse et, en une fraction de seconde, je m'écrase lourdement au sol. Le réflexe de mettre mes mains devant moi me sauve de justesse d'une chute bien plus grave, mais je sens l'impact des 20 kg de mon sac à dos s'écraser contre mon dos. Mes genoux sont éraflés, saignant légèrement, mais heureusement rien de cassé. Cette chute brutale, bien que sans conséquence majeure, me rappelle la fragilité de ma situation. Le souffle court et le cœur battant, je réalise combien une chute peut survenir en un instant, surtout quand la fatigue s'accumule.

Je décide qu'il est temps de m'arrêter. Je cherche une zone plate pour bivouaquer et trouve enfin un endroit idéal, proche d'un cours d'eau, calme et paisible. La décision de m'arrêter est difficile à accepter, mais elle est nécessaire. La sécurité doit passer avant tout. Une fois la tente montée, je m'effondre à l'intérieur, épuisé.

Sans réseau, je me retrouve soudainement déconnecté du monde extérieur, une sensation à la fois étrange et libératrice. Je prends mon téléphone satellite pour envoyer un message à ma famille et à ma copine, les rassurant sur ma situation. Ensuite, je note quelques lignes sur ma journée dans mon journal, essayant de capturer les émotions intenses que j'ai vécues.

Je mets de côté mon téléphone et m'accorde une sieste bien méritée. Le silence environnant m'enveloppe, et je me sens enfin libre de toute intrusion. C'est agréable de se couper du monde et de profiter de cet instant de solitude. Hors des réseaux sociaux qui nous distraient sans cesse, j'apprécie pleinement cette déconnexion.

Le soir venu, mon repas se compose simplement de riz, de soupe et de pain. C'est un festin modeste, mais chaque bouchée est réconfortante. Je sens mes forces revenir peu à peu, prêtes à être mobilisées pour la prochaine étape.

La fatigue est toujours là, mais la sérénité du lieu me donne la force de continuer. Je me laisse emporter par la fatigue et ferme les yeux...

Jour 8 : Le plat du jour

Je m'engage immédiatement dans une montée raide. L’air est frais et une légère pluie brumeuse enveloppe le paysage d’un voile mystérieux. Après plusieurs heures de marche intense, la faim se fait sentir. Je suis en quête d’un restaurant, mais les villages que je traverse semblent déserts, figés dans un silence inquiétant

À 13h30, j’atteins enfin un restaurant. Je pousse la porte avec espoir et demande si je peux encore manger. La patronne me répond que c’est trop tard. Désespéré, je lui demande où je pourrais encore trouver quelque chose à manger. Elle me répond qu'il me faudrait marcher encore une heure. Mon regard, sans doute accablé, attire l’attention du cuisinier qui intervient et annonce qu’il reste encore un plat du jour. Je saisis l’occasion avec une impatience palpable, acceptant sans même savoir ce qui m’attend. Ce soulagement de pouvoir enfin manger est indescriptible.

Cette aventure transforme mes priorités. Mes désirs se simplifient : boire, manger, trouver un abri. Tout le reste semble secondaire. La vie de randonneur m’ouvre les yeux sur l’essentiel.

Je reprends ma route, déterminé à aller plus loin que prévu. Les douleurs s’atténuent peu à peu et je maintiens une allure soutenue de 5 à 6 km/h, dépassant d’autres randonneurs avec l’adrénaline comme seule compagne. Je marche sans interruption pendant plus de 2h30, jusqu’à ce que la pluie se mette à tomber. Je m’enveloppe dans mon imperméable et continue d’avancer.

Au loin, une cabane se profile. Je décide d’y faire une pause et d’y passer la nuit. À l’intérieur, Nicolas et sa chienne Cannelle m’accueillent chaleureusement. Dehors, le froid devient de plus en plus mordant. C’est incroyable comme la météo oscille rapidement entre canicule et temps hivernal. Nous sommes en plein mois d’août, et Nicolas m’explique qu’au sommet, il neige.

Il fait à peine 3 degrés avec un vent violent. Je m’emmitoufle sous des couches de vêtements, enfile des gants, mais le froid s’incruste, implacable. On dirait qu’il a décidé de rester pour toute la nuit !

André, un septuagénaire en pleine course de la Transpyrénéenne, arrive et souhaite également y passer la nuit. Nous n’avons que deux lits. Parti de Perthus, il doit atteindre Hendaye en moins de 17 jours. Sans hésiter, je lui cède mon lit pour qu’il puisse se reposer. C’est ça, l’esprit des randonneurs : échanger, mais aussi aider ceux qui en ont besoin. La solidarité ici est palpable, un contraste frappant avec la vie urbaine.

La nuit tombe et je me résigne à nettoyer le sol couvert de crotte de souris pour pouvoir gonfler mon matelas et le poser sur un petit banc étroit. Je m’endors parmi les bruits des souris, priant pour qu’elles ne transforment pas mon sac en buffet nocturne ni ne me laissent de petits "cadeaux" pendant la nuit.

Quand la fatigue est à son comble, dormir n’importe où devient une option tout à fait acceptable. Cette expérience me montre à quel point je suis sorti de ma zone de confort, mais c’est justement ce qui rend cette aventure si précieuse. Après tout, qui n’aime pas un peu de suspense avant de dormir ?

Jour 9 : Au portail d'Andorre

La nuit est un vrai spectacle de bruit de fond. Je me réveille sans cesse, perturbé par une danse effervescente de souris qui semblent se trémousser sur la charpente juste au-dessus de ma tête. Et comme si cela ne suffisait pas, je fais un vol plané et me retrouve étalé par terre, le banc ayant décidé de me lâcher en pleine nuit. Pas vraiment le réveil rêvé, mais la comédie continue.

Aujourd'hui est un jour décisif : je suis déterminé à atteindre mon premier objectif dans ma traversée des Pyrénées. Mon esprit est en mode "aventurier" et je me lance à fond sur les sentiers. Les cailloux deviennent des trampolines et je saute de pierre en pierre comme un kangourou sous stéroïdes. Mes chevilles protestent à chaque atterrissage, mais je leur réponds avec un sourire déterminé. La douleur est un détail comparée à l'éclat de mon objectif.

Après un marathon de pierres et de persévérance, j’atteins enfin ma destination. Les portes de l’Andorre se dessinent à l’horizon comme un mirage devenu réalité. Comme prévu, je fais une pause à l’Hospitalet-près-l’Andorre, prêt pour une autre aventure. Le mardi 15 août, je reprendrai ma marche pour Hendaye. En attendant, direction Toulouse pour retrouver ma copine.

On a trouvé un moyen d'ajuster mon itinéraire pour qu’il s’aligne avec ses vacances, et ainsi, nous pourrons nous retrouver à certains endroits. Nous nous adaptons tous les deux pour faire durer notre relation tout en poursuivant mon aventure.

L’idée de la retrouver me réchauffe le cœur plus efficacement qu’un grand bol de chocolat chaud. J’ai hâte de partager des moments en tête-à-tête, loin des sentiers, des cailloux et des souris.

Ce début de voyage m’a déjà métamorphosé, entre épreuves physiques et souvenirs inoubliables. Avant de replonger dans l'effervescence urbaine pour une dizaine de jours, je savoure ce moment de répit. Mais une question me turlupine : que me réserve l’Andorre ?

Une chose est certaine : l’Andorre ne se contentera pas de me montrer ses paysages époustouflants. Non, elle a sûrement quelques surprises en stock, du genre à tester ma résistance et mon esprit d’aventure. Peut-être une course avec des chèvres des montagnes ? Ou un duel avec un vent glacial ?

Les montagnes andorranes n'ont pas encore révélé tous leurs secrets, et je suis impatient de les explorer. Qui sait, peut-être que le prochain chapitre de cette aventure inclura des danses improvisées avec des marmottes ou une quête épique pour trouver la bière la plus fraîche. Quoi qu’il en soit, je suis prêt à me laisser surprendre !